Par Leslie Picardat
Atelier est un recueil de photographies par Gautier Deblonde, paru aux éditions Steidl.
69 des 130 photographies que compte la série depuis 2004 sont reproduites dans ce bel ouvrage : des vues panoramiques des ateliers d’artistes contemporains internationaux parmi lesquels Ai Weiwei, Anish Kapoor, David Hockney, Gerhard Richter, Jeff Koons, Wim Delvoye, Nan Goldin…
Gautier Deblonde nous décrit l’atelier comme « un lieu de va-et-vient professionnel… mais qui reste un lieu intime, cher à l’artiste. Il y a des oeuvres non finies. Les artistes sont là en porte-à-faux et ne savent pas toujours où ils vont… mais ils m’ont fait confiance et m’ont donné carte blanche ».
Né à Rouen, formé à L’Institut Saint-Luc à Tournai, Gautier Deblonde s’installe comme photographe à Londres en 1991. Lié d’amitié avec les Young British Artists dès ses débuts, il noue une relation de confiance avec nombre d’artistes qui lui ouvrent leurs portes. Il mène une réflexion autour du portrait d’artiste, objet d’une première série de photographies Artists publiées par la Tate Gallery en 1999, élargie à l’espace de l’atelier qui devient sujet. D’une décennie à parcourir l’Europe, les États-Unis et l’Asie, il rapporte le témoignage des secrets de l’atelier sans que l’artiste soit présent et figure dans ses photographies. Un voyage fascinant dans l’antre de l’art en gestation.
« J’arrivais le matin pour observer. Je m’accaparais l’atelier. »
Au commencement ou prolongement de l’oeuvre d’art, chaque atelier est unique et identifiable. Le cadre est minimaliste chez Pierre Soulages, Ellsworth Kelly ou Richard Serra. Le contraste est parfois saisissant entre la confusion apparente de l’atelier et l’ordre défini par l’oeuvre aboutie. A voir l’atelier d’Ai Weiwei, entrepôt désaffecté, soufflé comme au passage d’une tornade, ou pénétrer dans l’univers aseptisé de Berlinde de Bruyckere – vision d’une table de boucher, amas d’objets en cire appelés à sculpter ses organes en souffrance – on sent bien que quelques combats et luttes au corps à corps sont menés dans l’atelier ; au pied d’une toile de Christian Boltanski, l’oeil se plaît à remarquer un modeste matelas défait gisant au sol. L’oeil vient ainsi à guetter dans l’atelier chaque détail qui renseigne sur une manière de travail et sur le lien intime et mystérieux de l’artiste à son oeuvre.
« L’atelier d’Ellsworth Kelly… immense, muséal, une peinture par mur… l’artiste ne voulait pas qu’on voit l’endroit exact où il peignait, ses brosses et ses pinceaux, les éclaboussures aux murs, alors que pour moi c’était important. J’ai pris la photo que je souhaitais après qu’il fut parti déjeuner… Je lui envoyais par la suite, en lui expliquant ma démarche… avec le risque qu’il m’envoie promener mais il l’a acceptée… j’en étais très heureux.»
De l’atelier en chantier à l’oeuvre finie, le mouvement et l’énergie créatrice sont palpables. D’un projet titanesque comme les arbres sculptés du maître de l’Arte povera, Giuseppe Penone, conçu dans son vaste atelier de Turin, aux couleurs des toiles du peintre danois Per Kirkeby qui éclaboussent et peu à peu colonisent l’espace, l’atelier renvoie l’image fascinante d’un monde de création en expansion. Ces vues d’atelier s’imposent comme une manière de portraits en profondeur tant l’identité de chaque artiste est prégnante. « Plus de cinquante personnes ont beau quotidiennement occuper son atelier, on sent qu’on est chez Jeff Koons. » D’un atelier à l’autre, sur trois continents, on se trouve en terrains conquis et marginalisés, marqués tant par l’individualité que l’universalité.
« Comme dans une chapelle ou une église… je viens d’une famille catholique… on sent parfois dans l’atelier une vraie présence. (…) L’atelier de Zhang Huan en est un exemple que j’affectionne particulièrement, une photographie en noir et blanc, une toile au sol faite de cendres provenant de temples bouddhiques dans une lumière dorée, un lieu chargé d’histoire.»
Au-delà du document, ces images sont belles. Elles donnent à voir l’atelier comme une oeuvre vivante, un paysage qu’elles recomposent et synthétisent par l’observation sensible des formes et des jeux de lumière. Par l’attention et le silence qu’elles imposent aussi.
Un ouvrage précieux à découvrir.
Une version collector, limitée à 30 exemplaires dédicacés et numérotés, est actuellement disponible, en partenariat avec la maison Louis Vuitton. Présentée sous coffret, elle s’accompagne d’un tirage photographique de l’atelier de Takashi Murakami, de Richard Prince ou de Yayoi Kusama.
(Contact : fr.louisvuitton.com / 09 77 40 40 77)
Gautier Deblonde est représenté par la galerie Cédric Bacqueville.
A voir également par Gautier Deblonde : le portrait vidéo Still Life – Ron Mueck at work présenté à la Fondation Cartier dans le cadre de l’exposition Ron Mueck du 16 avril au 27 octobre 2013.
L’atelier en cours de Gautier Deblonde : un travail photographique et vidéo pour le Centre d’art brut de Gugging en Autriche.