Par Serge Gleizes
Avant que le rideau ne se lève, une voix avertit, « merci de rester le plus silencieux possible durant tout le spectacle, pas de photos, pas de flashs, pas de quinte de toux intempestive… Et merci de n’applaudir qu’à la fin, lorsque tous les oiseaux seront rentrés dans leur loge. »
Et l’on comprend pourquoi, dès que les quatre grues de Mandchourie arrivent par une porte dérobée, vingt minutes après le début de Light Bird, en planant en rond autour de la scène. Ce n’est pas que nos éventuels borborygmes risquent de les perturber, voire de les agacer, ces vedettes susceptibles, mais surtout parce que ce que l’on voit est à couper le souffle. Ici, tout impose le silence, la taille de ces merveilleux oiseaux symbolisant l’immortalité en Asie (et à l’origine du dongnae kakchum, la danse de la grue), leur mouvement de pattes et de cou au ralenti, leurs sauts spectaculaires au milieu de cinq interprètes et musicien de nationalités diverses, âgés de 19 à 58 ans, leur manière de soulever de leur bec et avec une douceur bouleversante le drap qui recouvre le corps d’un danseur allongé…
« Elles sont curieuses, scrutent, écoutent, prennent de la place, dansent… et sont autant pacifiques que dangereuses, explique le chorégraphe Luc Petton, ornithologue passionné. C’est un animal paradoxal où l’on sent le préhistorique et le métaphysique. Danser avec les oiseaux implique une disposition à l’imprévisible. »
Car ici chaque soir le spectacle est différent, l’improvisation est là, et « une part de création in vivo » figure toujours dans la pièce.
Luc Petton, chef d’orchestre de ce ballet surréaliste à la fois mélancolique et joyeux, avait déjà fait évoluer danseurs et corneilles, geais et étourneaux dans Confidence des Oiseaux, ce qui l’avait fait planer sur les premières cimes de la célébrité, puis des cygnes dans Swan. Dans Light Bird, il fait valser des grues à l’espèce menacée.
Son aventure avec les oiseaux débute en 2004, assistée de sa compagne danseuse également et sociologue argentine, Marilén Iglesias-Breuker. Deux êtres atypiques animés de la même obsession : « aborder ce partage avec l’autre, un « autre » d’une espèce différente de la nôtre ». « Car chez les animaux, c’est avec le corps qu’on accueille » soutient la philosophe Vinciane Despret.
La fin de cette heure enchantée fut inoubliable. S’approchant au devant la scène, deux grues suivirent lentement le tomber du rideau, inclinant leur cou comme une lente révérence, au fur et à mesure que ce dernier gagnait le sol. Comme si nous étions, nous public dans la salle, la fin de leur spectacle…
Les 28 et 29 janvier au théâtre le Toboggan à Décines, 04 72 93 30 14 et renseignements Maison de la danse de Lyon : 04 72 78 18 18 et www.maisondeladanse.com