Le toit de Notre Dame a brûlé il y a quinze jours et il pleut (ou il pleure ?) sur la scène de l’Opéra Garnier… Ce n’est pas la faute de Sol León et Paul Lightfoot, chorégraphes et directeurs artistiques du prestigieux NDT (Nederlands Dans Theater), compagnie basée à la Haye, l’excellence de l’excellence, mais juste un hasard (qui n’existe pourtant pas) de calendrier.
La pluie tombe donc lors du troisième volet de la soirée avec Speak for yourself créé en 2001, interprété sur L’Art de la fugue de Jean-Sébastien Bach. Titre elliptique pour une pièce que l’on aurait plutôt baptisée Dancing in the rain. Tout commence par un jeune homme fumant et tout se termine par des couples dansant sous une pluie fine et mélancolique qui fait planer sur les rangs de l’orchestre un vent de fraîcheur. Le feu serait masculin, l’eau féminine. La fumée, ne serait-elle pas là, comme dans le sublime Smoke de Mats Ek, pour montrer que tout n’est qu’évanescence, que le moindre pas devient fumée, que cette dernière s’élève donc de la terre vers le ciel ? Tandis que l’eau fait l’inverse, qu’elle tombe pour éteindre, remettre les choses à terre, ralentir le mouvement, attiser la passion, rafraichir, ou encore évoquer la naissance, le liquide amniotique, l’érotisme, selon Freud dans son interprétation des rêves.
Créé en 2007, Sleight of hand (tour de magie en français) le premier volet de la soirée, est une œuvre au noir. Aussi magistrale qu’un roman de Marguerite Yourcenar. Même épure, même beauté, même tsunami poétique. Et pourtant quelle lumière dans cette symphonie ébène, dans ces costumes, dans cette scénographie, dans ces visages qui se déforment, dans ces hurlements qui se font en silence. Juchés à plusieurs mètres de hauteur, deux personnages trônent dans leur tour d’ivoire. En bas, ça danse, sublimement… Ça surgit des entrailles de la scène et du fond du décor, lente remontée des abysses que la musique de Philip Glass magnifie. Sauts, développés, portés, arrêts sur images, bustes et jambes d’atlantes, corps de sylphides nimbés de soie, costumes sombres, mouvements de bras que l’on rêve de reproduire pour exprimer ce qu’il est si difficile de dire parfois avec les mots. Côté jambes, c’est plus compliqué, c’est inaccessible.
Entre les deux, Trois Gnossiennesde Han van Manen, quatre-vingt-sept ans, danseur et chorégraphe planétaire qui s’est même produit avec Zizi Jeanmaire et Cyd Charisse. Directeur artistique du NDT jusqu’en 1975, il eut Sol et Paul comme interprètes et il est toujours leur père spirituel. Créé en1982, le ballet, dansé évidemment sur la musiqued’Erik Satie, est une splendeur. Un couple et un piano. L’essence de l’essence. Huit minutes de cette pureté si belle, de cette simplicité si difficile à atteindre sinon à force de détachement…
Palais Garnier, jusqu’au 23 mai, 08 92 89 90 90 www.operadeparis.com